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Les tissus « des nefs des morts » ou « tissus à jonques »
Les tissus rituels de la région de l’extrême pointe du sud de l’île de Sumatra n’avaient fait l’objet que de descriptions ponctuelles, jusque vers les années soixante où quelques ethnologues spécialistes de musées et collectionneurs privilégiés, ont découvert les « tissus à jonque » ou « tissus des nefs des morts ». De nombreux indonésiens croient ces textiles sont des navires qui mènent les âmes des défunts au royaume des morts. Néanmoins, leur fonction, le rôle qu’ils remplissent dans la société et les motifs qui constituent leur ornementation sont si étroitement associés aux fondements mêmes de la vie traditionnelle indonésienne que la date de leur origine doit être très ancienne.
Nous distinguerons trois sortes de tissus « à jonque » : |
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Le « tampan » est un carré de coton tissé, dont les dimensions varient de 40 à 90 cm. Le motif du navire y est tissé selon la technique indonésienne de la trame continue additionnelle en fils de coton ou en soie. Certaines couleurs prédominent : le marron, le marron à dominante rouge, le jaune, le beige et le bleu. Pour sa lecture, la lisière du tissu doit être tenue verticalement. |
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Le « palepai » : il signifie « navire ». Son format horizontal varie de 60 à 80 cm de large sur 200 à 400 cm de long. Tissé comme le « tampan » en coton sur une chaîne de lin, son décor consiste en une trame de coton qui forme son propre motif. L’ornementation est toujours polychrome et la lisière qui borde les longs côtés doit être tenue horizontalement, cette fois, pour permettre la lecture des motifs. |
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Le « tatibin » : forme le troisième type presque identique au « palepai ». Ses dimensions sont plus réduites, il mesure de 35 à 45 cm de large par 100 à 200 cm de long. D’un travail souvent plus soigné, sa rareté le fait apprécier des collectionneurs de textiles indonésiens. |
Image en attente . |
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Ces trois types de tissages présentent néanmoins certains caractères communs telles l’extrême géométrisation des formes et la prépondérance du motif du bateau. Ils sont réalisés selon la technique de la trame flottante dénommée en indonésien « pakan tambahan ». Le matériel le plus souvent utilisé pour leur confection est le coton ; cependant, des fils d’or et de soie peuvent apparaître dans l’ornementation. Ils sont souvent appelés tissus « kröe » mais grand nombre proviennent de la province de Lampong.
Le motif du bateau, constitue le thème central des tissages « Lampong ». Signe de voyage, partout dans le monde, ils sont symbole d’une traversée accomplie soit par les vivants, soit par les morts. Pour d’autres, ce motif évoquerait également les embarcations sur lesquelles les ancêtres des populations actuelles arrivèrent en Indonésie.
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Veste de mariage réalisée par des jeunes filles
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Durant la période néolithique entre 2500 et 1500 avant J.C. (de l’ère chrétienne), des groupes qui émigraient du Yunnan ont introduit la culture néolithique dans les îles de l’actuelle Indonésie. Mille ans plus tard, la période mégalithique y a laissé le témoignage de ses pierres monumentales. Les descendants de ceux qui les avaient taillées sont les « Bataks » de l’île de Sumatra contemporaine, les « Torajas » de Sulawesie, les peuplades de Nias, de Sumba et d’autres îles.
Entre le VIIIème siècle et le IIIème siècle av. J.C. une nouvelle vague migratoire du Vietnam d’aujourd’hui apportait la culture « Dong Son ». Nombreux sont les experts qui pensent que ces derniers firent connaître aux autochtones la culture du riz, l’ikat, comme la fonte du bronze à la cire perdue dont les ouvrages en bronze de cette période offrent des ornements aux motifs semblables ou identiques d'influences chinoises de la dynastie tardive des Chou ( Zhou 1122 avant JC, jusqu'en 256 avant JC) auxquelles s’ajoutent les apports successifs de l’hindouisme, du bouddhisme, plus tard de l’Islam, sans oublier l’influence de Java, puissance maritime sous le règne des Majapahit (1294-1520) ainsi que l’empreinte des siècles de domination coloniale portugaise et néerlandaise.
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Détail de Tapis, trame supplémentaire, fils d'or et petits miroirs.
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La signification du bateau est primordiale pour l’Indonésie qui comprend un grand nombre d’îles et pour les habitants desquelles la navigation constitue une activité très importante. Ce motif central est au premier plan un symbole de transitions. Compositions souvent extrêmement chargées, le fond est rempli d’une multitude de banderoles, ombrelles, étandards reliés par des figures géométriques. Sur le pont, on retrouve les mêmes motifs auxquels s'ajoutent formes architecturales, petits personnages, arbres, petits bateaux, surmontés d’un cavalier, l’éléphant (symbole de immuabilité, de prospérité et de puissance), le buffle (qui symbolise la fertilité) et le cheval (souvent considéré comme associé à la mort).
On trouve également la spirale et le motif de la clé d'influence Dong song. L’un des motifs les plus répandus est le triangle décoré du tupal, ce motif apparu dès le néolithique en Indonésie symbolise la fécondité et la fertilité. Selon certains auteurs, il s’agirait d’une pousse de bambou : grande vigueur, représentation d’un ancêtre. Difficile de savoir du fait de la stylisation, si le motif est ornemental ou d’un objet.
Détenus par certaines sociétés, clans ou familles déterminés, ces tissages remplissent encore de nos jours un rôle important dans nombreuses cérémonies traditionnelles en relation avec la naissance, l’agriculture, la mort et la majorité des rites de passage d’un individu vers une nouvelle tranche de vie, un nouveau statut social ; or le passage d’un statut à un autre implique symboliquement la mort de ce personnage suivie de sa renaissance sous forme nouvelle. |
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Tapis, trame supplémentaire en fils d'or, motifs tupals et losanges. |
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Au début du 20ème siècle, un grand nombre de cérémonies qui ponctuaient la vie sociale furent interdites par les gouvernements locaux qui les considérèrent trop coûteuses : sacrifices de nombreux buffles et circulation d’une quantité invraisemblable de biens comprenant en autres les tissus faisant objet de cette étude.
Il est possible que la fabrication longue, difficile et coûteuse qu'impliquait la confection de ses étoffes ait peu à peu été abandonnée.
Il est important de souligner que l’art textile Indonésien – Ikat, double Ikat, Tampan, Palepai en particulier, ainsi que Batik relève de la transmission d’éléments nés de la plus lointaine créativité humaine.
Art séculaire mais aussi vivant que les peintures rupestres d’Altamira (Espagne), il nous touche autant que les grandes œuvres d’art contemporaines. |
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